Quand la Haute Sarthe forçait la main à la rivière : histoires d’activités d’un autre temps

13/06/2025

La force tranquille des moulins : un paysage rythmé par l’eau

Avant d’être un prétexte à la contemplation, la Sarthe et ses affluents faisaient tourner la vie et les rouages. Au Moyen Âge déjà, on y comptait de nombreux moulins : à blé, à tan, à papier, à huile, à foulon. Leurs roues patinaient de l’aube au crépuscule.

  • Moulins à blé : À Saint-Léonard-des-Bois ou à Montbizot, on recensait au XVIII siècle plusieurs moulins familiaux (source : Archives départementales de la Sarthe). Ils approvisionnaient boulangers et fermes alentour, et servaient parfois de repaires pour braconniers, tant il s’y passait de monde.
  • Moulins à tan : Essentiels au tannage, les moulins à tan broyaient l’écorce de chêne que les tanneurs utilisaient pour travailler le cuir. Le bois de la forêt de Perseigne fournissait notamment de belles ressources.

Certains moulins ont conservé leurs mécanismes ou leurs digues : le moulin de Vandoeuvre à Beaumont-sur-Sarthe ou celui du Saut du Serpent, qui résonne encore du grondement de l’eau. La grande vague industrielle du XIX n’a pas épargné ces mécaniques ancestrales, mais plusieurs ont survécu jusqu’au début du XX. On estime qu’en 1850, près de 70 moulins étaient en activité rien que sur cette portion nord de la Sarthe (source : Archives de la Sarthe).

Tanneries et peaux : quand la rivière sentait le cuir

Impossible de parler de la Haute Sarthe industrielle sans évoquer ses tanneurs. La ville de Fresnay-sur-Sarthe en fut longtemps le cœur, accrochée à sa rivière et à ses bassins d’eaux brunes. Dès le XVe siècle, on y recense plus de dix ateliers et la filière emploie, à la veille de la Révolution, une bonne vingtaine de familles (source : Pays du Mans).

  • Les peaux, venues du pays d’Alençon et des vallées alentour, étaient travaillées ici pendant des semaines : trempage, pelanage, passage au tanin…
  • Beaucoup de rues de Fresnay gardent la trace de ce passé : rue des Tanneurs, rue du Chemin de l’Eau.
  • En 1830, près de 50 % de la population active de la commune travaillait, de près ou de loin, avec les activités du cuir.

On s’en doute, l’odeur était (disons-le franchement) tenace, et les eaux de la Sarthe, rarement cristallines à cette époque. Une anecdote locale raconte que les habitants amenaient le linge "bien en aval du pont", les jours de grande lessive…

Métallurgie et forges : la forêt, une mine dormante

Avant que le charbon n’arase toute concurrence, la Haute Sarthe vivait aussi de son bois et de son minerai de fer. La forêt de Perseigne, mais aussi celles du territoire de Sillé-le-Guillaume, ont abrité jusqu’au début du XIX siècle d’importantes forges à bois.

  • Au XVIII siècle, la forge de Neufchâtel-en-Saosnois employait plus de 80 ouvriers, charbonniers compris (source : Bulletin de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts de la Sarthe, 1876).
  • Le bocage regorgeait de petits sites où l’on extrayait limonite et hématite, puis, avec le bois de la forêt, on fondait le fer dans de hauts fourneaux de pierre.
  • Nombre de métairies vivaient aussi du charbonnage, un métier éreintant consistant à confectionner des meules de bois recouvertes de terre pour fabriquer du charbon de bois, indispensable à la fusion du métal.

Le minerai de Perseigne alimentait des forges locales, produisant des outils agricoles, des pièces de carrosserie pour charrons, ou, dans les années fastes, du matériel pour les armées royales.

Filatures et tissages : les métiers à tisser murmurent encore

Le textile a, lui aussi, marqué la vallée, même si ce n’est pas la première image qui vient à l’esprit. Mais du XVIII au XIX siècle, plusieurs filatures, petites usines à tisser ou ateliers de sabotiers ont ponctué la région.

  • À Beaumont-sur-Sarthe, deux filatures emploient plus de 300 personnes vers 1850 ; la laine y arrive sous forme brute puis repart en écheveaux ou en draps de moyenne gamme (source : Statistiques Développement Durable).
  • Le secteur du Maine était réputé pour ses « tissus de Fresnay », loin de la haute couture, mais robustes et recherchés sur les marchés environnants.
  • L’essor de la filature fut stoppé net par la concurrence de la machine, et les dernières manufactures ferment leurs portes dans l’entre-deux-guerres.

Les bâtisses de brique rouge aux hautes fenêtres témoignent encore de cette époque, sur les quais de Beaumont ou près de Fyé.

Marchés, foires et petits métiers : la vie à l’heure du bourg

Impossible d’évoquer l’histoire économique locale sans arrêter ses pas sur la place du marché. À Fresnay, Beaumont, Sillé, ce sont les marchés qui rythmaient la semaine et dessinaient le visage artisanal du pays. On y croisait :

  • Sabotiers : Un métier phare jusqu’au début du XX, grâce aux bois de bouleau et d’aulne voisins.
  • Fileuses et dentellières : À Sougé-le-Ganelon, beaucoup de femmes excellaient dans la réalisation de dentelles, petites « mains » discrètes d’un marché qui dépassait la région.
  • Colporteurs : Porte-à-porte de nouvelles et d’articles, aussi mobiles qu’indispensables en époque d’isolement rural.
  • Cribleurs, bourreliers, tonneliers, marchands de bestiaux : Chacun trouvait sa place dans la grande valse du commerce local.

Les foires de Beaumont (la Saint-Martin, notamment), attiraient de nombreux éleveurs. En 1880, ce sont plus de 800 têtes de bétail qui s’y échangent en une journée (source : Le Journal de la Sarthe, nov. 1880).

Carrières et chemins de campagne : l’empreinte de la pierre

Pas de cathédrale sans pierre, pas de pays sans sentier. La région a longtemps puisé dans ses carrières de grès, de sable ou de calcaire pour bâtir maisons, ponts, et routes. À Sougé-le-Ganelon, à Assé-le-Riboul, nombre de carrières furent exploitées jusqu’à la première moitié du XX.

  • Des centaines d’ouvriers, saisonniers pour la plupart, taillaient la pierre pour fournir, entre autres, Paris ou Alençon.
  • Plusieurs chemins vicinaux ou routes de traverse sont nés de ces carrières, qui nécessitaient des charrois constants.

On trouve encore dans les haies ces vieux « carreaux » abandonnés, et des villages entiers alignent leurs murs de grès ou de tuffeau, comme s’ils avaient poussé tout droit du paysage.

Agriculture : l’épine dorsale

Même si l’on a parfois tendance à n’y voir qu’un « accompagnement », l’agriculture demeure, depuis le Moyen Âge, l’activité structurante du pays. Cultures mixtes (blé, seigle, pommes de terre, lin, chanvre, trèfle) et élevage (vaches Normandes, chevaux de trait percherons, moutons) composaient l’ordinaire. Au XIX, la Haute Sarthe pouvait compter jusqu’à 70% de sa population active travaillant la terre (source : enquête agricole de 1882, Archives départementales).

  • L’apparition de la betterave sucrière à la fin du XIX a bousculé ces équilibres, offrant de nouveaux marchés et un regain pour les fermes du secteur entre Mézières et Beaumont.
  • Les abattoirs et laitiers collectaient chaque semaine viande, lait, œufs pour alimenter Le Mans et Paris.

Les paysages bocagers, longtemps structurés autour de la polyculture et de l’élevage extensif, sont héritiers de cette lente sédimentation agricole.

Et si on partait à la recherche des traces du passé ?

La Haute Sarthe, ce n’est pas une vitrine figée, ni un musée à ciel ouvert, mais un terroir qui porte sur ses bras les stigmates et les beautés de ses labeurs passés. On peut encore humer l’odeur du cuir en passant sous les arches de Fresnay, toucher la mousse froide des anciens moulins, arpenter un vieux chemin empierré et deviner l’essoufflement discret des générations.

La prochaine fois que vous flânez entre Sillé, Beaumont et Sougé, jetez un œil rêveur à ces traces oubliées. Elles murmurent toujours ce que fut la Haute Sarthe : un pays d’ouvriers de la beauté, d’artisans de la nécessité, de rusés dans la brume. N’hésitez pas à partager en commentaire vos souvenirs ou les histoires transmises dans vos familles — chaque village de notre coin recèle encore ses secrets d’atelier, de carrière ou de prairie à foin.

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