La Sarthe, un fil d’eau qui tisse l’histoire locale

31/05/2025

La Sarthe : lumière d’eau, racine du Pays

Ouvrez une carte de la Haute Sarthe ou promenez-vous avec un vieux baedeker en poche : impossible de ne pas croiser la rivière. La Sarthe, qui prend sa source autour du Mans, serpente alanguie, jette quelques boucles aventureuses entre Alençon, Fresnay-sur-Sarthe, Beaumont-sur-Sarthe et Sablé. Plus qu’un ruban d’eau, c’est presque une colonne vertébrale, un repère discret, un fil à tirer pour dérouler le roman local.

Mais qu’a donc la rivière Sarthe que les autres n’auraient pas ? Parler d’un cours d’eau est souvent l’affaire des pêcheurs ou des promeneurs. Pourtant, ici, la Sarthe c’est l’âme légère de la région : elle dessine les terres, façonne les bourgs, s’invite dans les fêtes, s’insinue dans la mémoire. Partons pour une balade dans le temps et la géographie, à la découverte de tout ce que la Sarthe a construit, détruit, transporté et inspiré. Bottes de caoutchouc et carnet de notes recommandés.

Une histoire indissociable : la Sarthe et les hommes

Des origines gauloises à la christianisation

Dès la Préhistoire, les rives de la Sarthe ont attiré les hommes : il n’y avait alors ni ponts ni routes, mais de l’eau douce abondante, des poissons et des terres grasses. Sur les hauteurs, les anciens édifiaient des oppida (citadelles gauloises), cherchant à surveiller la vallée. Les implantations gallo-romaines, attestées par des fouilles entre Alençon et Le Mans (Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest), orientaient déjà la vie autour du cours d’eau.

Dès le VIe siècle, la christianisation s’ancre au fil de la rivière : moines et ermites cherchent l’isolement et la fertilité des abords pour bâtir prieurés et monastères, comme à Saint-Léonard-des-Bois ou à Juillé.

L’âge d’or médiéval : foires, ponts et moulins

Quand la rumeur des foires résonnait entre Fresnay et Beaumont, la Sarthe devenait sentier d’affaires : on y transporte céréales, vin, bois, bœufs. La rivière permet aux moulins de prospérer. Dès le XIIIe siècle, on en compte plusieurs dizaines, du moulin banal destiné aux villageois au moulin seigneurial. À Beaumont, la "Grande Roue" se met à tourner dès 1421 ; partout, la granulation des blés nourrit l’économie locale (source : Archives départementales de la Sarthe).

Les ponts fixent les bourgs : là où on peut traverser, le village grandit (grand merci au grand pont de Fresnay, souvent submergé lors des crues spectaculaires que rapportent des chroniques de 1751 et 1805).

Le commerce, la navigation et la vie économique

Une voie fluviale discrète mais stratégique

La Sarthe n’est ni la Seine ni la Loire, mais elle voit passer bien des gabares (petits bateaux à fond plat), surtout dès le XVIIe siècle. À partir de 1530, la rivière devient partiellement navigable pour les marchandises entre Le Mans et Angers (cf. BNF Gallica, plans anciens).

  • Transport des pierres et tuiles du Maine vers les chantiers angevins
  • Vins, céréales, fourrages gagnant les marchés de Laval et d’Angers
  • Bois flotté jusque dans la basse vallée pour la marine royale

En 1867, le trafic fluvial entre Le Mans et Angers dépassait 70 000 tonnes de marchandises par an (source : rapport de la navigation intérieure, 1868). La concurrence du train changera la donne à partir de 1860, mais la Sarthe reste longtemps l’arrière-cour discrète du commerce local.

Moulins, tanneries et papiers : la rivière fait tourner le pays

Dans presque chaque village bordé de Sarthe, un moulin actionne ses roues ou sa bluterie. C’est aussi le royaume des tanneurs, papetiers et blanchisseurs qui exploitent la pureté de l’eau et son énergie tranquille. Au XIXe siècle, on dénombre près de 160 moulins en activité sur tout le bassin sarthois selon l’Inventaire Napoléonien des Moulins (1809).

Petit clin d’oeil patrimonial : la papeterie d’Ancinnes (aujourd’hui fermée) employait jusqu’à 40 personnes en 1879, exportant jusque dans l’Ouest angevin ses fameux cahiers scolaires.

Crues et caprices : la rivière, parfois indomptée

Ici, la Sarthe peut avoir des humeurs d’Amazone. Les chroniques de village fourmillent de récits de crues mémorables :

  • La crue de 1843 à Fresnay : le niveau de la rivière monte de plus de 2,50 mètres en 24 heures, engloutissant les prés et isole certains quartiers.
  • En 1910, la Sarthe quitte son lit à Beaumont, transformant la plaine en vaste miroir d’eau. La foire de mars dut se tenir… sur la place du village, au sec, pour une fois !

Ces inondations ont aussi obligé à l’évolution du bâti : maisons surélevées, puits couverts, et même plantations de roseaux en bordure pour contenir l’érosion. Les archives mentionnent aussi des "regains de foin" fauchés tardivement sur les prairies inondées – autant de ressourcement pour l’agriculture locale.

Baignades, pêcheurs et "dimanches sur l’eau" : la Sarthe populaire

Quand la Sarthe rime avec liberté

La rivière n’a jamais eu le monopole des marchands : c’est aussi le royaume des pêcheurs. Anguilles, brochets et sandres abondent dans les années 1940 (plus rares aujourd’hui, la pollution aidant, d’où la création vers 1960 des premières zones protégées à Saint-Marceau et Maresché).

Mais qui n’a jamais goûté à la température "vivifiante" de la Sarthe lors des baignades d’été, souvent improvisées, sur les grèves de Saint-Léonard ou de Sougé-le-Ganelon ? Le dimanche, on sortait barques et canots, pique-nique sur la berge, concours de ricochets et baignades (les anciens se souviennent, les petits-enfants retrouvent les lieux).

Depuis les années 1980, la Sarthe se fait plus touristique : pédalos, canoë-kayak, lointain écho des gabares d’autrefois mais pour le plaisir. Entre 2016 et 2023, la fréquentation des locations de canoë sur la Sarthe a progressé de 30 % (Sarthe Tourisme).

La Sarthe, source d’inspiration et de patrimoine

Entre poésie de l’eau et art de vivre rural

Impossible d’oublier l’influence de la rivière sur les paysages et l’architecture locale : granges à arcades au bord de l’eau, lavoirs couverts, petites cales pour tirer les bateaux, et fresques paysannes sur tant de toits. Poètes et chanteurs locaux ont aussi célébré ses méandres dans une langue patiente et imagée : "Sarthe paresseuse", disait-on à Beaumont, ou "Sarthe ensorceleuse" pour expliquer telle ou telle disparition d’un filet de pêcheurs.

Certains peintres ou photographes du début du XXe siècle viennent capter les brumes matinales sur la vallée (Georges Rouault, vers 1912, séjour à Saint-Céneri-le-Gérei), inspirés par la lumière variable et les reflets mouvants de la rivière.

Patrimoine hydrologique et sentiers d’avenir

Le réseau des chemins de halage, autrefois réservés au "cheval de halage" tirant péniblement les bateaux, offre désormais plus de 84 km de voies douces entre Alençon et Sablé. Le rôle de la Sarthe dans la biodiversité demeure central : plus de 120 espèces d’oiseaux recensées entre les prairies de Moitron-sur-Sarthe et les îles de Juillé (Recensement LPO, 2022).

  • Réserves naturelles à Saint-Léonard-des-Bois
  • Chemins d’interprétation du marais du Vivier (près de Maresché)

Entre écologie nouvelle et traditions vivantes, la Sarthe continue d’inspirer un art de vivre simple et terrien, où la contemplation n’est jamais loin de la grenouille et du héron qui vient troubler l’aube.

Suggestions pour prolonger la balade…

  • Marcher sur les traces des anciens gabariers à Beaumont-sur-Sarthe, en parcourant le sentier du halage (panneaux explicatifs au départ du pont).
  • Découvrir l’histoire des moulins du pays à travers les journées du patrimoine locales (certains moulins s’ouvrent exceptionnellement au public chaque septembre).
  • Observer la faune matinale à l’aube, un printemps, près des îlots de Marolles-les-Braults (pensez jumelles et carnet de notes !).

La Sarthe n’a jamais eu de rôle figé. Horizon d’eau, trait d’union de villages, muse pour le dimanche ou pour l’histoire locale, elle coule, humble et précieuse. Le prochain matin de brume ou de soleil, arrêtez-vous sur un pont ou une grève, et laissez filer vos pensées : la rivière porte toujours ses secrets, pour peu qu’on prenne le temps d’écouter.

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